Un article des plus intéressant de l'auteur Victor-Lévy Beaulieu que l'on m'a fait parvenir et que je partage avec vous.
Le Devoir 4 mars 2015 | Victor-Lévy Beaulieu - Écrivain et
éditeur | Justice
Depuis qu’elle a refusé d’entendre la cause d’une femme
musulmane, la juge Eliana Marengo, de la Cour du Québec, est devenue la proie
des politicologues, des journalistes, voire de tout le fretin avocassier. Selon
tout ce beau monde, la juge Marengo aurait fait preuve d’un manque de jugement
qui confinerait à l’imbécillité. Est-ce vraiment le cas ?
Permettez-moi de vous raconter cette expérience qui fut la
mienne lorsque, pour la première fois, je dus me présenter devant un juge. Je
portais alors un béret et je comptais bien me présenter au tribunal avec
celui-ci sur la tête. Mon avocat s’y est opposé, me disant : « Tu ne dois pas
le faire. Pour quelque raison que ce soit, on ne peut pas se présenter devant
un juge en portant un couvre-chef. Ça serait manquer de respect envers la
justice, dont le juge est le représentant. »
Le fait est qu’en Occident cette règle s’applique partout.
Et cette règle, elle est d’usage courant en Europe depuis toujours, comme le
démontre le droit communal en France dans cette version qui fut publiée en
1777. Nos origines françaises nous ont incités à respecter cette règle, qu’on
jugea si « normale » qu’on n’éprouva même pas le besoin d’en faire un article
de loi. Les recherches que j’ai entreprises sur le sujet, à partir de la
fondation de la Nouvelle-France, sont claires là-dessus : on n’y trouve pas un
seul cas qui infirmerait cette règle de l’usage commun voulant que, devant un
juge, on ne peut pas porter un couvre-chef, quel qu’il soit.
Il me semble donc que, loin d’avoir manqué de jugement, la
juge Eliana Marengo a respecté l’usage commun et que celui-ci « a force de loi
» même s’il n’est pas inscrit comme tel dans notre code judiciaire.
En portant plainte auprès du Conseil de la magistrature, la
musulmane Rani El-Alloul entend faire triompher « l’usage particulier » au
détriment de « l’usage commun », une stratégie qui est celle de presque tous
ses compatriotes et dont le but est simple : renverser l’ordre des valeurs qui
prévaut dans notre société, au profit d’une idéologie obscurantiste, qui, pour
se réclamer de la démocratie, en constitue l’envers même.
Imaginons que le Conseil de la magistrature donne raison à
Rania El-Alloul. Comment pourrait-on alors ne pas permettre à tout un chacun le
port du couvre-chef devant nos tribunaux ? Un motard portant bandeau, un
policier portant képi, un Québécois d’origine haïtienne portant tuque, une
femme portant chapeau à volettes, un sportif portant casquette commanditée ne
pourraient-ils pas à leur tour réclamer que, à « l’usage commun », on substitue
« l’usage particulier » ?
Il ne peut pas y avoir d’usage particulier devant la
justice. Je crois que c’est ce qu’a exprimé la juge Eliana Marengo et qu’on
devrait la féliciter de l’avoir fait, plutôt que de la dénigrer avec hystérie
comme le font assez sordidement politicologues, journalistes et fretin
avocassier.
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