LUNDI
Seul à la maison. Ma femme est partie pour la semaine.
Génial ! Je sens qu'on va vivre des instants inoubliables, le chien et moi. Je me
suis concocté un emploi du temps réglé comme du papier à musique. Je sais
exactement à quelle heure je vais me lever et le temps que je passerai dans la
salle de bains ou dans la cuisine, à préparer le déjeuner.
J'ai également compté les heures qu'il me faudra pour
liquider la vaisselle, le ménage, les promenades du chien, les courses et la
cuisine. Et là, surprise : il me restera plein de temps libre ! Pourquoi les
femmes se font-elles une montagne de toutes ces tâches alors qu'elles peuvent
être expédiées si rapidement? Tout est une question d'organisation.
Pour le souper, le chien et moi avons un steak chacun. J'ai
disposé une jolie nappe, une bougie et un bouquet de roses pour faire plus
intime. Le chien a mangé de la mousse de canard en hors-d'oeuvre et aussi en
plat principal, mais accompagnée d'une farandole de petits légumes. Et, comme
dessert, des biscuits. Moi, je me suis octroyé du vin et un cigare. Cela
faisait des lustres que je ne m'étais pas senti aussi bien.
MARDI
Je dois revoir mon emploi du temps : apparemment, quelques
aménagements s'imposent. J'ai expliqué au chien que, bien entendu, ce n'est pas
tous les jours fête; il ne doit donc pas s'attendre à des hors-d'oeuvre et à un
service dans trois bols différents, vu que le préposé à la vaisselle, c'est moi
! En prenant mon déjeuner, j'ai noté les inconvénients du jus d'orange pressé:
ça vous oblige à nettoyer chaque fois le presse-agrumes. A moins d'en prévoir
suffisamment pour deux jours, et dans ce cas, vous avez moitié moins de
vaisselle.
Ma femme a insisté pour que je passe l'aspirateur tous les
jours. Pas question. Une fois tous les deux jours suffira amplement. Il n'y a
qu'à enfiler des pantoufles et nettoyer les pattes du chien... A part ça, je
suis en pleine forme.
MERCREDI
J'ai le sentiment que le ménage prend plus de temps que
prévu. Il va falloir affiner ma stratégie. D'abord, acheter des repas tout
préparés. Cela me fera gagner quelques minutes en cuisine. La préparation du
souper ne devrait jamais être plus longue que sa consommation. En revanche, la
chambre reste un problème. Il faut s'extraire des couvertures, aérer et enfin
faire le lit. Trop compliqué ! D'ailleurs, je ne vois pas l'intérêt de faire le
lit tous les jours dans la mesure où on se recouche le soir même.
Pour le chien, fini les préparations culinaires élaborées.
Au menu : pâtée en boite. Il boude, mais tant pis. Si je peux me contenter de
plats cuisinés, pourquoi pas lui ?
JEUDI
Plus de jus d'orange ! Comment un fruit d'aspect si anodin
peut-il provoquer une telle pagaille? Désormais, j'achèterai du jus en
bouteille. Découverte N°1 : j'ai réussi à m'extirper du lit en défaisant à
peine les couvertures. Comme ça, il n'y a plus qu'à les retaper un peu. Bien
sûr, cela nécessite un certain entraînement et on a intérêt à ne pas trop
gigoter pendant la nuit. J'ai un peu mal au dos, mais une bonne douche chaude
et il n'y paraîtra plus.
J'ai cessé de me raser tous les jours. Je gagne ainsi de
précieuses minutes. Découverte N°2 : changer d'assiette à chaque repas est une
hérésie. Les vaisselles à répétition commencent à m'énerver. Le chien, lui
aussi, peut manger dans le même bol. Ce n'est qu'un animal après tout ! Note :
je suis parvenu à la conclusion que le passage de l'aspirateur ne s'imposait
qu'une fois par semaine... maximum.
Saucisses au déjeuner et au souper.
VENDREDI
Terminé le jus de fruit en bouteille ! Trop lourd à porter.
J'ai observé un curieux phénomène : les saucisses sont excellentes le matin, un
peu moins bonnes le midi et carrément infectes le soir. Si un homme en mange
plus de deux jours de suite, elles risquent même de lui occasionner de légères
nausées. Le chien a eu des croquettes. C'est tout aussi nutritif et le bol
reste propre.
J'ai découvert qu'on pouvait boire la soupe directement à la
casserole. Elle a exactement le même goût. Plus de bol, plus de louche !
Désormais j'ai moins l'impression d'être réincarné en lave-vaisselle. J'ai
cessé de passer le balai dans la cuisine. Cela me tapait autant sur les nerfs
que de faire le lit. Note : laisser tomber les conserves. Ca salit
l'ouvre-boîtes.
SAMEDI
A quoi bon se déshabiller le soir pour se rhabiller le
lendemain matin? Je préfère occuper ce temps à me reposer un peu. Pas la peine
non plus d'utiliser les couvertures : comme ça, le lit reste impeccable. Le chien
a laissé des miettes partout. Il s'est fait gronder. Je ne suis pas sa bonne !
Étrange : c'est exactement la réflexion que ma femme me fait
parfois. Aujourd'hui, rasage. Mais je n'en ai vraiment pas envie. Je suis à
bout de nerfs. Pour le déjeuner, proscrire ce qui doit être déballé, ouvert,
coupé en tranches, étalé, cuit ou passé au mélangeur. Toutes ces corvées
m'exaspèrent.
Pour le dîner, manger à même l'emballage. Sans assiette, ni
couverts, ni nappe, ni rien de toutes ces choses superflues. Mes gencives sont
un peu sensibles. Peut-être parce que je ne mange pas de fruits : ils sont trop
lourds à transporter. C'est sans doute un début de scorbut. Ma femme a appelé
dans l'après-midi pour savoir si j'avais fait les vitres et la lessive. Je suis
parti d'un éclat de rire hystérique. Comme si j'avais le temps !
Malaise dans la baignoire : le siphon est bouché par des
spaghettis. Ce n'est pas si grave, puisque, de toute façon, je ne me douche
plus. Note : Le chien et moi mangeons ensemble, directement au frigo. Il faut
faire vite pour ne pas laisser la porte ouverte trop longtemps.
DIMANCHE
Le chien et moi sommes restés au lit, à regarder la
télévision. Nous avons salivé tous deux en voyant des gens faire des agapes.
Nous sommes épuisés et grognons autant l'un que l'autre. Ce matin, j'ai mangé
quelque chose dans son bol. Aucun de nous deux n'a aimé. Je devrais vraiment me
laver. Me raser. Me peigner. Lui préparer sa pâtée. Le sortir. Faire la
vaisselle. Ranger. Penser aux courses. Et tout le reste... Mais, je n'en ai
vraiment pas la force. J'ai l'impression d'avoir des problèmes d'équilibre et
de vision. Le chien ne remue même plus la queue. Seul l'instinct de
conservation nous a permis de nous traîner jusqu'au restaurant, où nous avons
passé plus d'une heure à manger des tas de bonnes choses dans de multiples
assiettes... avant d'aller à l'hôtel. La chambre est propre, bien rangée et
douillette. J'ai trouvé la solution idéale.
Je me demande si ma femme y a jamais pensé.
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