vendredi 16 septembre 2011

Métaphore à la sauce Laporte


Ce matin je paresse, Stéphane Laporte a écrit un petit bijou qui est drôlement près de la réalité, que je viens de découvrir et me fait plaisir de partager avec vous.
 Le voici donc:

Il était une fois un homme nommé Canada. Anglophone, beau bonhomme et propre de sa personne. Il était une fois une femme nommée Québec. Francophone, jolie et cultivée. Les deux se sont mariés obligés, ordre de la belle-mère, nommée Angleterre.

Au début de leur union, l'homme prenait toutes les décisions et la femme obéissait poliment comme une Donalda docile. L'homme était le boss. L'homme avait le cash. La femme avait les enfants. Plein d'enfants. Pendant que l'homme prospérait, la femme priait. Il y a bien eu une petite révolte de la belle patriote, mais l'homme a mis son pied à terre et les revendications de sa conjointe sous terre.

Le mariage alla bon train durant de nombreuses décennies, puis vint un vent de débauche appelé années 60. La femme a commencé à penser à se libérer.

Au début, rien qui mette l'union en péril. Ce n'était que des revendications modestes: pouvoir parler sa langue dans la maison, avoir une job à l'extérieur, s'occuper elle-même de sa santé, avoir un compte d'électricité à son nom. Cela agaça le mari qui, malgré tout, répondit aux demandes de son émancipée compagne, question de gagner du temps. Les hommes aiment gagner du temps parce que le temps, c'est de l'argent.
Alors arriva ce qui arriva: la madame se déniaisa. En s'ouvrant sur le monde, ses horizons se sont élargis. Et plus elle était autonome, plus elle y prenait plaisir. Tellement qu'elle commença à faire des plans pour partir pour de bon. Ou plutôt pour mettre dehors son husband. Va dormir dans tes Rocheuses, je garde la maison!

Mais l'idée de se séparer d'un coup sec lui faisait trop peur. Depuis toujours, elle savait que, peu importe ce qui pouvait lui arriver, la poche de son mari n'était pas loin pour payer d'essentiels besoins. Elle décida de quitter son homme par étapes, en rapatriant ses pouvoirs un par un.

L'homme tenait à son couple. Et, comme le font tous les hommes quand ils s'aperçoivent que leur blonde est sur le point de sacrer le camp, il se mit à lui donner beaucoup d'attention. Il recommença à faire la cour à sa femme, en français s'il vous plaît. Il lui acheta plein de cadeaux et de commandites. Tout pour qu'elle reste.

Deux fois, la femme fit les valises de son mari et les plaça devant la porte. Mais à la dernière minute, quand son mari demanda: «C'est vraiment fini? Tu veux vraiment que je parte?» Elle répondit: «Non.» Pas très fort, surtout la deuxième fois, mais «non» quand même. Et les deux oiseaux continuèrent de vivre ensemble. Oh, ce n'était pas la fête tous les jours. On se chicanait souvent. Mais cette menace constante du départ de la belle faisait que, quelque part, la flamme brûlait toujours.

Puis, l'usure du temps fit son oeuvre. Des menaces, ça inquiète au début. Mais, après 50 ans, on n'y croit plus. L'homme finit donc par se rendre compte que sa femme ne partirait jamais. Qu'elle était grande parleuse, petite faiseuse. Alors, il recommença à la tenir pour acquise, se mit à parler de moins en moins français et passa de plus en plus ses journées et ses soirées chez son voisin de l'Ouest.

Il fut un temps où, quand son mari la délaissait un peu, l'épouse avait l'habitude de l'embrasser passionnément, ce qui rallumait l'intérêt du mâle pour la femelle. Elle appelait cette stratégie le french power. Mais il y a longtemps que les baisers français ne provoquent plus rien chez le monsieur qui, au fil des années, a de plus en plus un coeur de ROC.

On pourrait croire que le désintéressement du conjoint convaincrait la dame de quitter une fois pour toutes son mari mal-aimé. Au contraire. Comme c'est souvent le cas dans les relations interpersonnelles, c'est lorsque quelqu'un ne s'intéresse plus à soi que l'on commence à s'intéresser à lui.

Aujourd'hui, c'est le mari qui est devenu indépendant. Et la femme rame derrière, ne sachant plus que faire. Voilà l'état du couple Québec-Canada.

Trêve de métaphore. Force est de constater que le Canada n'a jamais été aussi canadian. Le Canada s'est tanné du Québec et de ses bouderies. Avant, pour prendre le pouvoir, tous les chefs devaient faire des courbettes devant le Québec, et voilà que Stephen Harper a réussi le tour de force de devenir le roi du Canada bien qu'il soit rejeté par le Québec en bloc ou en orange. La donne a changé. Harper se fout des Nordiques et du pont Champlain. Harper s'occupe du Canada at large.

Devant cette réalité, le Québec est désemparé. Comme la blonde qui menait son chum par le bout du nez en le menaçant constamment de rompre et qui ne sait plus quoi faire quand son chum dit: «WTF?»

Le nationalisme québécois n'a jamais autant battu de l'aile depuis que le Canada l'ignore. À l'époque des commandites, on était à un point de pourcentage de quitter le pays. À l'époque du commandant Harper, on semble à des années-lumière de le faire.

Le Québec ressemble de plus en plus à une conjointe qui se dit: «À l'âge que j'ai, aussi bien rester avec mon vieux mari. C'est peut-être pas le plus fin mais, au moins, on a nos habitudes.»

Texte de Stéphane Laporte

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